Votre rédaction s’est entretenue avec Dorothée Lieven, vétérinaire depuis 2014 et service technique chez Hipra depuis 5 ans. Nous avons discuté de la prise vaccinale dans le contexte actuel où il y a de nombreuses pathologies pour lesquelles il est possible, voire même obligatoire de vacciner. Des programmes de vaccinations étendus sont déjà fréquemment effectués dans d’autres espèces comme les porcins, par exemple, sans que cela ne pose problème. Les bovins sont eux aussi capables de répondre à une administration simultanée de multiples vaccins. Mais comment peut-on le faire correctement ?
Le secteur des ruminants montre encore une certaine réticence à adopter les vaccinations étendues. Pourtant, ces pratiques évoluent progressivement et continueront à se développer à l’avenir. Sous l’impulsion des autorités, des consommateurs et des laiteries par exemple, qui tolèrent de moins en moins l’utilisation des antibiotiques, une réduction des interventions curatives devient essentielle pour promouvoir une approche plus durable de l’élevage. Ainsi, une transition de la médecine thérapeutique vers la médecine préventive est en train de s’opérer.
Des pré-requis
Une vaccination efficace repose sur la capacité des animaux à développer une réponse immunitaire optimale. Il est donc essentiel de préparer les animaux afin qu’ils soient réceptifs et capables de produire des anticorps. Ces derniers étant des protéines, il est important que l’alimentation des vaches leur apporte ces éléments en quantité suffisante pour soutenir une immunité efficace. Assurer un bon équilibre en énergie et protéines est essentiel pour répondre aux besoins des animaux, notamment lors de vaccinations tout comme durant des périodes critiques.
Par ailleurs, toute carence nutritionnelle peut affaiblir le système immunitaire. Il est donc crucial de s’assurer que la ration distribuée couvre l’ensemble des besoins en nutriments, y compris en oligo-éléments et en vitamines. Ces derniers, grâce à leur rôle antioxydant, permettent de contrebalancer le stress oxydatif, et protègent les cellules immunitaires des dommages qui en résultent. Les animaux doivent être en bonne santé au moment de la vaccination : “Nous recommandons de réaliser des prises de sang de façon régulière pour évaluer l’état de santé du troupeau et d’intervenir de manière préventive si nécessaire” souligne Dorothée Lieven.
Il convient également d’éviter toutes les sources potentielles de stress, qui peuvent être multiples : transport, manipulations, changements de groupes, écornage, températures variables, et cætera. Dorothée Lieven nous donne plus d’explications : “Il faut éviter de vacciner durant les périodes de stress. Celles-ci provoquent une augmentation du cortisol, ce qui altère le fonctionnement des cellules immunitaires, comme les neutrophiles, et altère la phagocytose. Or, la phagocytose joue un rôle clé dans la destruction des micro-organismes pathogènes”.
Par exemple, si l’administration d’un rappel doit initialement être réalisée pendant une période de fortes chaleurs estivales, il est préférable d’adapter son planning : “Dans certains cas, vacciner avant la date de rappel initialement prévue pour éviter d’administrer le vaccin durant les fortes chaleurs, soit durant un stress thermique, est parfois nécessaire pour garantir une réponse immunitaire optimale”.
C’est pourquoi la vaccination doit être planifiée à l’avance, afin d’assurer une contention optimale et d’éviter les périodes à risque mentionnées précédemment.
Adapter et respecter les protocoles pour maximiser les résultats
Pour maximiser l’efficacité vaccinale, il est important d’adapter le protocole en fonction des pathologies et des catégories d’animaux concernés dans l’exploitation. Une identification des germes présents au sein de l’élevage sur base de diagnostics précis permet de définir les vaccins nécessaires pour assurer une bonne santé du troupeau. Vacciner avant l’âge auquel les premiers symptômes peuvent apparaître est ce qu’il convient de faire pour éviter l’apparition des maladies dans l’élevage.
D’autre part, le respect des bonnes pratiques de vaccination est indispensable. Les vaccins doivent être manipulés et conservés de manière appropriée. Dorothée Lieven nous donne plus de précisions : “La majorité des vaccins doivent être conservée au réfrigérateur, à une température comprise entre 2 et 8 °C. Placer un thermomètre enregistrant les températures minimales et maximales rencontrées est judicieux, car les réfrigérateurs peuvent être moins précis qu’on ne le pense. Les fluctuations de température doivent être limitées, ce qui implique d’éviter de placer les vaccins dans les compartiments des portes ou contre les parois du réfrigérateur. Les vaccins doivent également être conservés à l’abri de la lumière, idéalement dans leur emballage d’origine. Avant l’administration, il faut ramener le vaccin à la température corporelle”.
Administrer les différents vaccins à différents endroits
Dans le cas de l’administration de plusieurs vaccins le même jour, il faut se référer à la notice des différents vaccins et demander l’avis du vétérinaire pour s’assurer que leur combinaison est sans risque. “Les combinaisons ne sont pas toujours testées et des risques d’interactions pourraient exister principalement par la présence d’adjuvants. En cas de doute, il est toujours préférable de consulter son vétérinaire. Lorsque l’administration simultanée de plusieurs vaccins n’est pas recommandée, il peut être plus sécurisant de respecter un intervalle de 15 jours entre les injections”.
Chaque vaccin doit être administré selon sa voie d’administration spécifique. “Pour les vaccinations multiples, l’administration des vaccins à différents endroits est conseillée, comme par exemple du côté droit et du côté gauche de l’encolure. Cela permet de stimuler des ganglions lymphatiques différents pour chaque vaccin. Éviter l’administration des vaccins trop proches spatialement l’un de l’autre a aussi son importance, également pour limiter les interactions locales. Pour garantir une administration précise et sécurisée, la contention correcte est nécessaire, toutefois en douceur pour limiter le stress des animaux”.
Prêter attention au matériel utilisé
L’utilisation de matériel de vaccination dédié est essentielle : “Dans le cas des vaccinations multiples, il est recommandé d’utiliser une seringue différente pour chaque vaccin afin d’éviter les interférences entre eux. Il ne faut jamais mélanger des vaccins différents dans une même seringue. Utiliser un outil dédié aux vaccins est important. Je déconseille par exemple d’utiliser un pistolet qui a servi à administrer des antibiotiques, car des résidus pourraient altérer les vaccins”. Un entretien rigoureux du matériel est tout aussi crucial. “Je conseille de rincer les pistolets avec de l’eau chaude, mais sans désinfectant, et d’ensuite les stocker au réfrigérateur pour limiter les risques de contamination”.
Investir dans la vaccination pour la santé de son troupeau
La médecine préventive constitue un levier essentiel pour maintenir son troupeau en bonne santé. Même lors des multiples vaccinations, les animaux sont capables de répondre efficacement aux antigènes rencontrés et de produire des anticorps. En respectant les fondamentaux rappelés dans cet article, la multi-vaccination peut être mise en œuvre sans problème, même chez les ruminants.
“Lorsque tout est correctement préparé, planifié et que les principes de base sont respectés, la vaccination se révèle être une méthode rapide et efficace pour prévenir les maladies et limiter leur impact. Dans la grande majorité des cas, elle offre un retour sur investissement favorable. Il s’agit d’un investissement précieux qui mérite d’être réalisé. En revanche, l’absence de vaccination entraîne des pertes souvent bien plus conséquentes, même si elles ne sont pas immédiatement perceptibles. ” conclut Dorothée Lieven.
Texte : Antoine Van HoutteᆞIllustrations : Hipra