Dans un contexte où l’amélioration des performances d’élevage et la réduction de l’impact environnemental sont des enjeux majeurs, la station de suivi des performances en engraissement de Ath joue un rôle clé dans le développement d’outils innovants pour les éleveurs de la race Blanc Bleu Belge. Portée par Elevéo et Proxani, cette station s’inscrit dans un projet visant à optimiser le suivi et l’encadrement des exploitations grâce à des données précises sur la croissance, l’ingestion et les performances à l’abattage des animaux.
Depuis 2012, plus de 3 500 taureaux y ont été évalués, permettant l’acquisition de plus de 20 000 mesures. Le dispositif repose sur une alimentation sèche avec un apport de paille à volonté, et chaque animal est suivi individuellement grâce à des distributeurs automatiques de concentrés (DAC) et des pesées régulières. Environ 65 % des taurillons ont déjà été génotypés, et l’ensemble des coûts de production est minutieusement analysé.
La particularité de cette station réside dans son approche scientifique : en plaçant les animaux dans des conditions environnementales identiques, il est possible d’évaluer l’influence du facteur génétique sur leurs performances, notamment en matière d’efficacité alimentaire. Ainsi, les écarts de consommation observés pour un même kilo de viande produit peuvent aller du simple au double, mettant en évidence l’importance de la sélection génétique.
Cet engagement en faveur d’un élevage plus performant et durable a également été mis en lumière lors de la journée portes ouvertes du 11 mars 2025, où plus de 400 participants sont venus découvrir les avancées du projet Blanc Bleu Vert, dont l’objectif est de réduire l’impact environnemental de l’élevage.
Le projet Blanc Bleu Vert
Il est reconnu que l’élevage bovin est une source de production de méthane. Le projet Blanc Bleu Vert a débuté en 2012 et a pour objectif de réduire l’impact environnemental de l’élevage. Ainsi, l’empreinte carbone, les émissions de méthane et la compétition pour les ressources alimentaires avec les Humains (compétition feed/food) sont des pierres angulaires de ce projet.
“Divers leviers permettent d’influencer les niveaux d’émissions de méthane par les bovins comme la composition de la ration mais aussi la sélection génétique. En effet, même au sein d’un lot d’individus similaires nourris avec une ration comparable, des différences plus ou moins importantes d’émissions de méthane s’observent. Certains individus valorisent donc mieux leur ration (moins de pertes via les émissions de méthane) et ils sont plus efficients”. L’évaluation de la production de méthane des bovins selon leur alimentation et leur génétique est donc un point intéressant pour mettre en place plus de durabilité dans nos élevages.
GreenFeed
Les émissions de méthane sont mesurées expérimentalement par une sonde GreenFeed qui absorbe les émissions des animaux. Cela permet d’analyser les gaz éructés par les bovins. En pratique, cette sonde est placée au sein d’un DAC (distributeur automatique de concentrés) équipé d’un système d’aspiration de l’air. À chaque fois que les animaux vont s’alimenter, ils vont éructer dans des proportions similaires aux autres périodes de la journée. Les animaux entrent dans ce dispositif selon leurs envies, entre 12 à 16 fois par jour. Pour obtenir des données fiables, les animaux doivent utiliser ce système au minimum 20 jours.
Développement d’un modèle pour estimer les émissions de méthane
Sur base de ces données, les chercheurs ont ensuite essayé de trouver un moyen pour mesurer les émissions de méthane dans les élevages sans avoir besoin de GreenFeed. En effet, prendre des mesures individuelles d’émissions de méthane à grande échelle pour réaliser une sélection génétique n’est pas envisageable en raison du prix élevé des appareils nécessaires ainsi que de l’expertise et du temps humain demandé. Les chercheurs ont ainsi essayé de développer une méthode indirecte moins chère et plus facile à mettre en place. Les processus digestifs du rumen influencent à la fois les émissions de méthane par la bouche de l’animal et la composition des matières fécales. Une corrélation a pu être mise en évidence avec certains composants des fèces et la production de méthane par les animaux. Les fèces sont récupérées, broyées et puis analysées en proche infra-rouge (NIR).
Grâce à ce modèle fiable, il suffit donc d’analyser les bouses d’un animal pour pouvoir estimer la quantité de méthane qu’il produit. À terme, le but est d’identifier les composants génétiques qui ont un rôle sur les émissions de méthane et de sélectionner des animaux qui sont peu producteurs de ce gaz à effet de serre. En effet, il y a une variabilité génétique qui est responsable, pour une même production laitière, d’une différence d’émissions de méthane pouvant atteindre les 30 %. De plus, les émissions de méthane peuvent être mises en lien avec l’efficience des animaux et donc avec une meilleure valorisation alimentaire. Tout cela se répercute donc également sur le portefeuille des éleveurs.
Des résultats prometteurs
Pour le moment, ce modèle est en développement. “Les premiers résultats acquis sur les données collectées dans le cadre du projet Blanc Bleu Vert sont prometteurs même s’il est nécessaire de poursuivre le développement du modèle prédictif via la collecte de nouvelles données afin d’avoir un modèle robuste qui puisse répondre aux cas de figure rencontrés sur le terrain”. Les données récoltées dans le cadre de cette étude sont également transmises à d’autres centres de recherches européens et sont notamment utilisées pour développer d’autres modèles internationaux qui ne sont pas orientés uniquement sur la race Blanc Bleu Belge. D’autres recherches scientifiques ont également pu déterminer qu’il existe une corrélation entre certaines molécules présentes dans le lait et les émissions de méthane. L’analyse du lait est donc un moyen facile à mettre en œuvre pour déterminer les pollutions engendrées par les bovins laitiers.
Outil DECiDE
Pour une évaluation précise des émissions environnementales, il est primordial de respecter les principes de l’analyse de cycle de vie, qui préconise de comptabiliser à la fois les émissions directes (issues des activités de l’exploitation) et les émissions indirectes (liées au transport et à la fabrication des intrants). Dans les élevages bovins, environ 50 % des émissions directes proviennent du méthane entérique (CH₄), tandis que le protoxyde d’azote (N₂O) résulte notamment de la gestion des fertilisants azotés, et le dioxyde de carbone (CO₂) est en grande partie associé à l’usage des machines. Quant aux émissions indirectes, elles représentent en moyenne 20 % des émissions totales des exploitations en Wallonie.
En Wallonie, l’outil DECiDE, développé par le CRA-W, est utilisé pour évaluer le bilan carbone des exploitations agricoles et analyser leur durabilité à travers des indicateurs environnementaux, économiques et sociaux. Accessible gratuitement, il s’adresse aux exploitations bovines (lait et viande), ovines (lait et viande), de grandes cultures et mixtes, couvrant ainsi plus de 90 % des exploitations agricoles de la région.
Une alimentation moins méthanogène
L’alimentation a-t-elle une influence sur la production de méthane chez le taurillon Blanc Bleu Belge en engraissement ? C’est la question que s’est posée une équipe de chercheurs. C’est ainsi qu’ils ont comparé une alimentation riche en acides gras saturés et un régime à base d’acides gras insaturés. Durant une année, pas moins de 192 taurillons ont été suivis sur quatre régimes alimentaires différents (type concentrés-paille) durant leur phase de finition (± 100 jours). Des mesures d’émissions de méthane ont ensuite été réalisées sur ces deux troupeaux qui ont reçu une alimentation différente.
Il en ressort que l’utilisation d’acides gras insaturés provenant de graines de colza extrudées ou de graines de lin extrudées ont permis, dans une ration de finition, de réduire les émissions de méthane de respectivement 23 % et 32 % par rapport à un régime principalement basé sur des acides gras saturés. Le même constat peut également être fait lorsqu’on rapporte la quantité de méthane émis par kilo de matière sèche ingérée. De plus, cet impact intéressant tant sur la performance que sur le méthane émis n’implique pas de surcoût alimentaire et n’impacte pas la marge brute de l’éleveur.
Des études supplémentaires sont en cours afin de confirmer la réduction des émissions de méthane observée lors de la première année de recherche sur l’ensemble du processus d’engraissement, incluant les phases de croissance et de finition. Ces analyses concernent aussi bien les animaux de race pure que ceux issus de croisements, et ce, sous ration humide ou sèche. Par ailleurs, d’autres paramètres seront examinés, notamment le rendement à l’abattage ainsi que la qualité nutritionnelle de la viande, en particulier son profil en acides gras.
Euroclim
“Il est important de connaître l’empreinte du kilo de viande produite sur l’exploitation, en d’autres mots, le kilo de poids vif au départ de la ferme, et de tenter de le diminuer” sont les mots employés par Proxani lors de cette journée portes ouvertes. Les visiteurs ont pu découvrir leur gamme d’aliments Euroclim riches en graines de lin et de colza, ce qui a une action de diminution des émissions de méthane chez les animaux qui en consomment. De plus, 80 % de composants de cet aliment ne peuvent pas être valorisés par l’Homme, ce qui permet de limiter la concurrence pour les ressources avec les bovins. Enfin, l’entièreté des matières premières est d’origine européenne, ce qui réduit l’empreinte carbone liée au transport des matières premières.
Un exemple concret et validé de rations distribuées dans la station de Sart-Saint-Laurent nous a été montré. Il en ressort que les aliments Euroclim (Euro 40) permettent de réduire l’empreinte environnementale de la viande sans surcoût majeur ni charge de travail supplémentaire ni baisse des performances. “Actuellement, la moitié du volume d’aliments vendus par Proxani est déjà Euroclim. Cela prouve que les agriculteurs sont conscients de l’écologie” a déclaré Erwin Vanderhaegen, product manager viandes, minéraux et poudres de lait chez Proxani.
Ce fabricant propose également la gamme Euro Faba, un aliment protéique composé de fabacées sans soja OGM. “Nous avons déjà de bons retours en ferme concernant ce produit. De plus, cela démontre qu’il est économiquement possible de faire de la viande rentablement sans soja tout en réduisant notre dépendance aux USA”.
Le Blanc Bleu Belge, une race d’avenir
“La race Blanc Bleu Belge est une race résolument tournée vers l’avenir”, c’est ce qui nous a été expliqué lors de la visite. Ainsi, le rendement carcasse des Blanc Bleu Belge est très élevé et est proche de celui des poulets de chair. Ce n’est pas moins de 58 % du poids vif de l’animal qui est constitué de viande rouge. Tout cela pour une consommation alimentaire réduite par rapport à d’autres races. La viande ne contient que peu de gras, ce qui en fait un aliment diététique. De plus, celle-ci a une composition stable et standardisée, ce qui plaît dans les supermarchés et convient bien à la grande distribution. L’avenir de cette race belge semble donc assuré, dans un contexte où la demande mondiale de viande va augmenter de 20 % d’ici 2050 selon la FAO.
Sources : Elevéo, Proxani, CRA-W, Université de Liège et Inovéo.
Texte : Antoine Van Houtte