L’agriculture de conservation des sols se définit comme étant l’ensemble de techniques mises en œuvre dans le but de maintenir et améliorer le potentiel agronomique des sols, tout en conservant une production régulière et technico-économiquement performante. Frédéric Thomas est un acteur important qui contribue au développement de l’agriculture de conservation en France. Il était de passage en Belgique fin février 2025. Votre rédaction en a profité pour aller à sa rencontre.
Après une formation BTA (brevet de technicien agricole) et BTS (brevet de technicien supérieur), suivie de nombreux séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric Thomas devient professeur de mécanique et d’agronomie dans un lycée agricole. En parallèle, il débute une activité de conseil de terrain en matière de simplification du travail du sol. Pour répondre à la demande croissante des agriculteurs, il crée une revue spécialisée dans les techniques sans labour en 1999. On peut donc dire qu’il s’agit d’une référence dans le domaine de l’agriculture de conservation des sols.
Également agriculteur en Sologne (Centre-Val de Loire en France), il cultive des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel. Ce sont des sols acides sur de l’agrile dont de nombreuses personnes ont abandonné la culture. Depuis 1996, il pratique l’agriculture de conservation. En appliquant les principes de limitation du travail du sol, d’introduction de nouvelles plantes dans la rotation, de mise en place de couverts végétaux et en apportant du compost, il a réussi à améliorer la fertilité de ses sols.
L’agriculture de conservation pour améliorer la robustesse de son exploitation
“Remplacer l’acier par les racines, le gasoil par la photosynthèse, l’urée par les nodosités et l’agro-chimie par la diversité” est un peu le credo de Frédéric Thomas. Selon lui, l’agriculture de conservation est un outil pour améliorer la robustesse d’une exploitation. “Cela permet de traverser des années compliquées.” Tout en nuançant : “Il y a également des bonnes choses dans d’autres techniques”. Il faut donc trouver un bon compromis entre tous les leviers agronomiques disponibles et les actions entreprises sur le sol pour obtenir au final une terre en bonne santé et présentant une bonne fertilité naturelle.
L’importance d’une bonne teneur en carbone
Pour avoir un sol performant où les vers de terre travaillent efficacement, il faut atteindre d’importantes teneurs en carbone et en matière organique dans les sols. Le manque de Carbone dans les sols est d’autant plus vrai dans nos sols belges, qui sont souvent très riches en azote. En effet, nous sommes dans une région avec d’importants potentiels de rendement et où les apports en minéraux et en engrais de fermes très riches en azote sont fréquents. “C’est le plus souvent le carbone qui est limitant pour avoir un sol en bonne santé. En effet, dans le rapport C/N, l’azote est souvent présent en quantité suffisante. Cet élément doit se fixer sur le carbone pour ne pas se perdre. Avoir un bon taux de carbone est donc essentiel pour avoir un sol naturellement fertile”.
L’impact du travail du sol sur la minéralisation
La minéralisation est un processus permettant de transformer la matière organique en minéral. Cela se réalise grâce aux actions des micro-organismes qui ont besoin d’oxygène, d’une température élevée, et d’humidité pour être actifs. Au sein d’une année avec des conditions climatiques “normales”, il y a deux pics de minéralisation par an. Le premier a lieu au printemps quand les sols sont encore humides et qu’ils se réchauffent. Le second a lieu durant l’automne, qui est également généralement une période assez humide pendant laquelle les sols sont encore chauds. Ainsi, dans les sols froids, la matière organique se décompose peu, alors que dans les sols humides et ayant une température élevée, elle se décompose rapidement.
Dans un système conventionnel, le travail du sol impacte le cycle du carbone en accélérant la minéralisation. Cette action sur le sol va introduire, de manière artificielle, de l’oxygène. L’air va alors intensifier l’activité des micro-organismes et amplifier le pic de minéralisation. C’est pourquoi on travaille traditionnellement la terre avant d’implanter une culture. Cette minéralisation rapide va fournir une fertilité rapide, mais qui ne dure pas sur le long terme. Si on a un sol auto-fertile, il y a plus de minéralisation naturelle tout en ayant une distribution répartie tout au long de l’année.
En appliquant un système d’agriculture de conservation, les reliquats d’azote sont bas en fin d’hiver, car il n’y a pas de travail du sol en automne. De plus, les couverts implantés vont consommer les éléments minéraux du sol. “Pour éviter les fuites d’azote, on implante des couverts végétaux. Ces derniers captent la minéralisation pour piéger l’azote avec le carbone”. On comprend alors toute l’importance d’implanter des couverts végétaux même en interculture courte. Ils permettent de ne pas laisser le sol nu pendant les périodes de forte minéralisation et sont donc particulièrement intéressants au printemps et en automne.
Permettre le développement du système racinaire en profondeur
Il est important que les racines des végétaux puissent bien explorer le sol en profondeur. Celles-ci empruntent préférentiellement les galeries des lombrics pour explorer le substrat. Il faut donc qu’il y ait des vers de terre pour faciliter la pénétration des racines.
De même, il faut toujours éviter de travailler un sol trop finement pour éviter qu’il ne prenne en masse après une pluie. Cette situation peut aller jusqu’à provoquer une zone de surface presque entièrement imperméable à l’air. Cela est très préjudiciable à la croissance des cultures. Il convient également d’éviter les tassements des sols, causés par le passage d’outils de plus en plus lourds et imposants.
“Il faut apporter au sol les éléments nécessaires pour faire fonctionner le vivant”. Cela est également valable pour les minéraux et les oligo-éléments et est d’autant plus important chez nous, car beaucoup de cultures sont des grandes exportatrices de fertilité, comme les betteraves ou les pommes de terre.
Observer son sol pour diagnostiquer ses problèmes
L’orateur a conseillé aux agriculteurs présents de développer une vision de leurs sols en trois dimensions. “Beaucoup ne voient que la superficie sans tenir compte de la profondeur de sol exploitable. Par exemple, si on arrive à gagner un centimètre de sol fertile en profondeur, on a 130 T de terre en plus sur un hectare. Étendre sa ferme en profondeur est donc quelque chose d’intéressant”.
Enfin, Frédéric Thomas rappelle l’importance de l’observation de son sol : “Il faut observer son sol pour en diagnostiquer les problèmes”. On peut donc dire que l’achat d’une bonne bêche peut être le meilleur investissement d’une exploitation. La réalisation d’une fosse pédologique peut aussi être envisagée. Sans oublier le mini-profil 3D qui consiste à extraire un bloc de sol à l’aide des fourches d’un télescopique ou d’un chargeur.
Texte et iIllustrations : Antoine Van Houtte